Réseaux sociaux et dénigrement : la "to do list" de l'employeur

Réseaux sociaux et dénigrement : la "to do list" de l'employeur

Publié le : 12/11/2018 12 novembre nov. 11 2018

Il est difficile, en tant qu’employeur, de savoir comment réagir face à des propos qui semblent dénigrants sur les réseaux sociaux. Quelles sont les limites à la liberté d’expression du salarié, droit expressément reconnu par le Code du travail ? Le salarié ne peut en abuser par des propos diffamatoires, injurieux, excessifs ou bien dénigrants sans risquer des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement, et même, des poursuites pénales. Mais il bénéficie également du secret des correspondances, valable pour ses correspondances privées.

Qu’en est-il des propos postés sur Facebook ou sur tout autre réseau social ? Sont-ils privés ou publics ? Et plus particulièrement, ceux postés par un salarié, dénigrant son employeur ou l’entreprise dans laquelle il travaille ? Un employeur peut-il s’en servir pour justifier une sanction ?

Quelques éléments de réponse :

Les propos tenus doivent relever de la sphère publique
La jurisprudence a été assez hésitante quant à savoir si ce qui était publié relevait de la sphère publique ou privée. La Cour de cassation adhère aujourd’hui à la thèse selon laquelle, par défaut, ce qui est publié sur un réseau social est privé. L’employeur doit donc prouver en quoi les propos tenus ont un caractère public.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 septembre 2018, les juges avaient affaire à une salariée qui avait adhéré à un groupe Facebook dénommé « Extermination des directrices chieuses », sur le mur duquel elle mentionnait des propos injurieux et offensants et proférait des menaces envers sa direction. La salariée avait été licenciée pour faute grave. En appel, les juges ont rappelé que la seule existence de ce type de propos sur Facebook ne peut pas justifier un licenciement : l’employeur doit prouver que les correspondances ont un caractère public. En l’espèce, la cour d’appel a considéré que les propos relevaient de la sphère privée, parce-que le groupe était un groupe fermé, dont l’adhésion était soumise à approbation du titulaire, et qu’il ne comportait que 14 personnes. Elle en a déduit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ; ce que la Cour de cassation a confirmé. Elle considère donc qu’un groupe de 14 personnes est un groupe restreint, sans pour autant dire à partir de combien de participants le groupe serait ouvert…

Les juges sont également attentifs au paramétrage effectué sur le compte : en effet, « ce réseau peut constituer, soit un espace privé soit un espace public, en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur » (CA Rouen, 15 novembre 2011). Si les paramétrages permettent un accès à un large public sans restriction, alors les propos seront considérés comme publics. En revanche, la question du paramétrage ne se pose plus si la messagerie instantanée Facebook d’une salariée reste ouverte sur un ordinateur auquel plusieurs autres salariés ont accès, alors qu’elle échange avec une collègue en des termes insultants et dénigrants sur d’autres collègues ainsi que sur sa supérieure hiérarchique. En rendant visibles les correspondances, la salariée leur fait perdre le caractère privé (CA Toulouse, 2 février 2018).

A titre d’exemple, et toujours par référence au caractère public ou non, ont été admis pour justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse les propos suivants :

Les échanges d’un salarié avec des membres de sa famille, comprenant des propos insultants et dégradants pour l’image de la société, sans confidentialité du compte (CA Lyon, 24 mars 2014).
Le commentaire « les gens ne vont pas manger au restaurant le Palladia pour manger mais pour rire des guignols qui le dirige » (orthographe respectée) posté sur le mur Facebook du salarié dans la même configuration (CA Toulouse, 24 mars 2017).
Les juges ont par ailleurs eu l’occasion de préciser les effets du simple « like ». Une salariée avait « liké » un commentaire dénigrant relatif à l’hôtel dans lequel elle travaillait, diffusé sans restriction, avec la localisation précise de l’hôtel. Ceci laissait présumer que la salariée approuvait ce qui était dit. Cette action rend publics les propos du commentaire, et justifie donc le licenciement pour faute grave de la salariée qui avait simplement « aimé » (CA Paris, 9 mars 2017).

Les propos doivent constituer un abus de la liberté d’expression du salarié
A titre d’exemple, peuvent constituer une faute grave justifiant un licenciement :

Des commentaires postés par un salarié sur le mur d’un autre, dont le profil n’était pas paramétré afin d’en garantir la confidentialité, et critiquant un autre salarié en ces termes : « dans ce monde de balance, un tri s’impose» ; « en 40 il aurait été médaillé, en 44 il aurait été tondu »  (CA Douai, 30 septembre 2016).
Des propos rendus publics, tenus via la messagerie professionnelle d’un salarié à des collègues. Le mail commentait, au sujet de son Président Directeur Général : « Quel pauvre con, Il n’a plus rien à faire le vendredi après-midi. Qu’il aille en clientèle chercher du boulot» (CA Besançon, 11 septembre 2018)
Une salariée qui met en commentaire « Aller y travailler le dimanche bande de charlots c pas vous qui vous lever et qui n’aver pas de vie de famille nous faite pas chier à venir le dimanche !!!!!!!» (orthographe respectée), sous un post sur la page Facebook de son employeur qui compte 453 « j’aime», et dont la page a 112 000 followers (CA Reims, 15 novembre 2017).
Concrètement donc, la « to do list » de l’employeur suppose qu’il :

vérifie le caractère public ou non des propos,
s’interroge sur la nature de ces propos ; constituent-ils ou non un abus de la liberté d’expression ?
Précisons encore qu’il est possible d’agir même après une rupture de contrat de travail. Si le lien employeur/salarié n’existe plus, une action en responsabilité civile peut toutefois être imaginée : c’est le cas pour des messages électroniques envoyés par un salarié licencié à d’anciens collègues sur leur messagerie professionnelle pour les inciter à consulter le site internet qu’il a créé, et dans lequel il tient des propos dénigrants à l’égard de son ancien employeur avec « une virulence excédant manifestement celle normalement induite par la contestation des motifs d’un licenciement considéré abusif ». En effet, ce dénigrement fautif a causé un préjudice à l’entreprise, du fait de l’atteinte portée à son image de marque et à la crédibilité de ses cadres.

Rappelons enfin qu’il est possible de faire condamner une entreprise concurrente en cas de propos dénigrants tenus par exemple sur Twitter, sur la page du dirigeant, au sujet la qualité des prestations fournies.

Le dénigrement ne doit pas conduire à une réaction dans l’instant, prenez conseil pour vous aiguiller dans les démarches à accomplir !!

Pour une information complémentaire, lire « l’éclairage décevant de la Cour de Cassation sur le caractère privé des propos tenus par un salarié sur Facebook » (Gaz. Pal. 30 oct. 2018, page 24) par Sébastien MAYOUX, maître de conférences en droit et consultant au cabinet TEN France.

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