Maladie imputable au service : l’absence de volonté de nuire de l’employeur est sans incidence sur sa reconnaissance

Maladie imputable au service : l’absence de volonté de nuire de l’employeur est sans incidence sur sa reconnaissance

Publié le : 29/05/2019 29 mai mai 05 2019

Conseil d’Etat, 13 mars 2019, Communauté d’agglomération du Choletais, n°407795

Par sa décision en date du 13 mars 2019, le Conseil d’Etat a mis fin au courant jurisprudentiel qui se dégageait de différentes cours administratives d’appel, selon lequel si la pathologie d’un agent, telle que l’anxiété ou la dépression, pouvait avoir un lien direct et certain avec les différents agissements de l’administration face à un comportement inapproprié d’un fonctionnaire, tel que des entretiens de recadrage ou des sanctions disciplinaires, elle ne pouvait pas, néanmoins, être qualifiée de maladie professionnelle, dès lors que les conditions de travail de l’agent ne révélaient pas, de la part de l’employeur, une volonté délibérée de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, ou d’altérer sa santé (CAA de Nantes, 9 décembre 2016, Communauté d’agglomération du Choletais, n°16NT01106 ; 6 octobre 2017, n°16NT02400 ; CAA de Bordeaux, 7 février 2017, n°15BX02739 et 15BX02740).

Le management des agents publics peut, en effet, se révéler parfois difficile. Or, face à des agents adoptant des comportements récalcitrants ou d’opposition systématique, des attitudes provocantes, voire harcelantes à l’égard de sa hiérarchie, l’employeur public est contraint de prendre des mesures à l’encontre de ces agents.

Celles-ci peuvent prendre la forme d’entretiens de recadrage, de rappels à l’ordre et dans les cas les plus difficiles, de sanctions disciplinaires.

Quid alors de l’agent, qui à la suite de ces mesures, induites et même rendues nécessaires par son propre comportement, est placé en congé de maladie et qui sollicite son imputabilité au service ?

Il ne s’agit, malheureusement, pas d’un cas d’espèce et trop nombreuses sont les situations de cette nature rencontrées par les employeurs publics.

Le juge administratif a pu considérer, à juste titre, qu’un entretien musclé pouvait constituer un accident de service (CAA de Marseille, 25 septembre 2018, n°17MA01940). En effet, si l’entretien de recadrage ou préalable à une sanction disciplinaire constitue un outil de management, le supérieur hiérarchique ne doit pas dépasser les limites de ses pouvoirs hiérarchiques et adopter une attitude exemplaire. Ainsi, si cette solution peut s’entendre, la preuve du caractère violent de l’entretien ou, à tout le moins, conflictuel laisse dubitatif. En l’espèce, le caractère conflictuel a été retenu sur la foi du témoignage du représentant syndical accompagnant la requérante lors de l’entretien auquel elle était convoquée à la suite de son comportement violent eu avec un jeune élève durant le temps de la cantine scolaire. L’impartialité de ce témoignage peut, sans doute, prêter à discussion.

S’agissant de la cause de la maladie professionnelle, la jurisprudence réfute l’imputabilité au service, dès lors que la pathologie ne présentait pas de lien direct avec l’exercice des fonctions de l’agent ou avec ses conditions de travail et en particulier, lorsqu’un fait personnel de l’agent ou tout autre circonstance particulière conduisait à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie au service.

Sur la base de cette jurisprudence constante, les cours administratives d’appel avaient pu considérer que les conditions du service de l’agent n’étaient pas à l’origine de sa pathologie en l’absence d’une volonté de nuire de l’employeur.

Le Conseil d’Etat ne retient, toutefois, pas cette conception de la maladie professionnelle en jugeant que :

« En revanche, en jugeant que l’absence de volonté délibérée de l’employeur de porter atteinte aux droits, à la dignité ou à la santé de Mme A… interdisait de reconnaître l’imputabilité au service de l’affection en cause, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit, dès lors qu’il appartient au juge d’apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l’absence de volonté délibérée de nuire à l’agent, être regardées comme étant directement à l’origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée ».

Cette position du Conseil d’Etat, si elle peut paraître sévère de prime abord pour les employeurs publics, se révèle, en réalité, cohérente dans la mesure où les conditions de travail dégradées, que ce soit matériellement ou en termes de climat de travail et qui sont sources de la maladie professionnelle, ne trouvent pas nécessairement leur origine dans une volonté délibérée de l’employeur de nuire à son agent. Par comparaison, en droit social, la maladie professionnelle est indépendante de l’attitude fautive de l’employeur, la notion de faute inexcusable de l’employeur ne trouvant un intérêt que dans l’indemnisation des conséquences dommageables de la maladie.

Cette jurisprudence emporte-t-elle, pour autant, une restriction importante des pouvoirs de l’employeur dans le management de ses équipes ?

La décision du Conseil d’Etat n’est pas aussi tranchée, puisque bien qu’elle annule l’arrêt de la Cour, elle renvoie l’affaire, sans se prononcer sur le fond et sans censurer la 1ère partie de son raisonnement, selon lequel l’avis médical n’était pas assorti de précisions suffisantes permettant de tenir pour établir que l’état anxiodépressif de l’agent était directement lié à la dégradation de son contexte de travail et qu’en s’engageant de longue date dans un processus d’opposition systématique à son employeur et en s’opposant à toute évolution du service, et en amplifiant cette attitude après la sanction au point de rendre impossible les relations de travail avec son employeur, l’agent était à l’origine de l’épuisement professionnel et des conditions de travail dégradées dont il avait fait l’objet.

Le Conseil d’Etat ajoute ainsi que :
« C’est sans erreur de droit que la cour s’est attachée à vérifier l’existence d’un lien direct de la maladie de Mme A… avec l’exercice de ses fonctions et qu’elle a recherché si des circonstances particulières pouvaient conduire à regarder cette pathologie comme détachable du service ».

Ainsi, s’il censure l’absence de volonté délibérée de l’employeur de nuire à son agent comme cause exonératoire de la maladie professionnelle, ce n’est sans doute pas le cas du propre comportement de l’agent, susceptible de regarder sa pathologie comme détachable du service.

Lise LEEMAN, Avocat associé, spécialisée en Droit public

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