CORONAVIRUS et exécution des contrats de la commande publique : Quelles solutions ?

CORONAVIRUS et exécution des contrats de la commande publique : Quelles solutions ?

Publié le : 13/03/2020 13 mars mars 03 2020

Avec l’épidémie de Covid-19, la France, comme de nombreux autres pays, voit se multiplier d'une part, l'édiction de mesures administratives et sanitaires par les pouvoirs publics, comme la fermeture des établissements scolaires ou l'interdiction des rassemblements de plus de 1 000 personnes, et d'autre part, des recommandations visant notamment au confinement de personnes provenant de zones à risques ou présentant des symptômes pouvant supposer une contamination.

De telles mesures ont un impact sur la vie économique nationale : annulation de nombreuses manifestations, difficultés d’approvisionnement, invocation du droit de retrait par de nombreux salariés, etc.
Bien évidemment, ces difficultés vont se répercuter sur l'exécution des contrats et notamment ceux de la commande publique. 

Si le 28 février 2020, le Ministre de l'Economie et des Finances s'est voulu rassurant en indiquant que le Covid-19 constitue un cas de force majeure de nature à exonérer les cocontractants de l'Etat de l'application de toute pénalité en cas de retard de livraison, une telle affirmation est sujette à caution en droit.

Pourra-t-on invoquer la force majeure dans le cadre de l'exécution de ces contrats ?

La force majeure est définie comme résultant d'un événement à la fois extérieur aux parties, irrésistible et imprévisible.

Concrètement, la force majeure doit résulter d'un événement anormal, extérieur à l'entreprise, qui n'a pu être ni prévu, ni compensé et qui ne peut être assimilé à aucun des aléas plus ou moins importants que comporte toujours un marché.

Les évènements de force majeure peuvent être causés soit par des faits naturels, tels que des tremblements de terre, des ouragans, des inondations, soit par des faits de l'homme tels que la grève, la guerre, etc. Elle est appréciée au cas d'espèce par le juge administratif et est évaluée à la date de la formation du contrat.

L'expérience du juge judiciaire est très instructive sur le caractère aléatoire de la reconnaissance du caractère de force majeure en cas d’épidémies.

Ainsi, la Cour d'appel de Paris a pu juger que le virus Ebola pouvait être considéré comme un cas de force majeure (Cour d'appel de Paris, 17 mars 2016, n°15/04263), mais a écarté cette qualification, dès lors qu'elle a considéré que le virus n'avait pas rendu impossible l'exécution des obligations en cause dans le litige.

La Cour d'appel de Besançon a, pour sa part, refusé le caractère de force majeure au virus H1N1, estimant que ce dernier avait été largement annoncé, avant même la mise en place de réglementation sanitaire (Cour d'appel de Besançon, 8 janvier 2014).

Ainsi, pour que le Covid-19 soit qualifié de force majeure, il conviendra de faire une appréciation au cas par cas et de déterminer avec précision les raisons qui ont conduit à l'inexécution des prestations (condition d’extériorité aux parties), les mesures qui auraient pu être prises par le cocontractant pour prévenir les effets de la réglementation en rapport avec le Coronavirus (condition d'irrésistibilité de l'évènement), ainsi que le moment où cette réglementation est intervenue dans le cadre de l'exécution de son contrat (critère d'imprévisibilité de l'évènement). 

Si la force majeure est retenue, le cocontractant pourra être exonéré totalement ou partiellement de sa responsabilité contractuelle pour les dommages et inconvénients qui en sont nés.

Il pourra également obtenir, même dans le silence du contrat :
  • La suspension de l’exécution du contrat ou sa résiliation à son profit,
  • La suspension des pénalités de retard pour la durée de l'impossibilité temporaire d'exécuter,
  • La prolongation du délai d'exécution,
  • Une indemnisation, mais des seules charges nouvelles qui pèsent sur lui ou du manque à gagner imputable à la résiliation du contrat ou les pertes non directement imputables au sinistre, comme l'immobilisation du matériel et du personnel provoquée par la désorganisation du chantier.
D’autres principes juridiques peuvent-ils venir au secours du cocontractant ?

Si la force majeure n'est pas retenue, d'autres théories générales du droit administratif pourront être invoquées.

Ce sera le cas de la théorie de l’imprévision, qui ne permet toutefois pas de mettre fin à l'exécution du contrat, car elle ne présente pas un caractère définitif.

Cette théorie ne peut être mise en œuvre que si les évènements, qui la provoque, présentent un caractère anormal et imprévisible, sont indépendants de la volonté des parties et entraînent un bouleversement de l'économie du contrat. Le caractère d'irrésistibilité, propre à la force majeure, n'est toutefois pas exigé.

Le cocontractant, aura alors droit à une indemnité d'imprévision, devant lui permettre de poursuivre son exécution.
Toutefois, le cocontractant ne peut s'exonérer de sa responsabilité contractuelle.

Pourrait être également invoquée, dans certaines circonstances, la théorie du fait du prince.

Celle-ci s'applique lorsque le préjudice est causé par une mesure de l'autorité contractante, agissant à un autre titre, en particulier celui de puissance publique. Les mesures prises par l'autorité contractante doivent ainsi rendre plus difficile et plus onéreuse l'exécution du contrat par le cocontractant.

Tel pourrait être le cas des mesures sanitaires prises par le gouvernement et qui auraient un impact significatif sur l'exécution des marchés conclus avec l'Etat. Toutefois et là encore, une appréciation au cas par cas devra être effectuée. 

Ce régime implique une indemnisation intégrale du cocontractant de l'administration.

Enfin, il pourrait être envisagé l'engagement de la responsabilité de l'Etat sans faute, qui est reconnue en raison des conséquences dommageables des actes que l'administration adopte, alors même qu'elle n'a commis aucune faute.
Cette notion est fondée sur le risque ou sur la rupture d'égalité devant les charges publiques.

Toutefois, la responsabilité sans faute de l'Etat ne peut être engagée que si elle a entraîné un préjudice anormal et spécial ou d'une particulière gravité.

Là encore, une appréciation concrète devra être faite de chaque cas pour déterminer notamment si le caractère d’anormalité ou de spécialité du préjudice est rempli, ce qui peut s’avérer compliqué si l’impact de ces mesures est commun à une majorité de cocontractants.

TEN France est bien évidemment à votre disposition pour vous accompagner en cas de difficultés rencontrées au cours de l'exécution des contrats de la commande publique et notamment, en cette période inédite de pandémie du fait du Covid-19.

Lise LEEMAN, Avocat associé, spécialisé en Droit public à la SCP Ten France.

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