Fonction Publique : harcèlement moral vs devoir de réserve

Fonction Publique : harcèlement moral vs devoir de réserve

Auteurs : Adrien Levrey, Avocat Cabinet TEN France
Publié le : 18/01/2022 18 janvier janv. 01 2022

La qualité d’agent public, titulaire ou contractuel, implique la mise en place d’une protection particulière à son égard, par son employeur, contre les faits de harcèlement moral. Ces faits sont parfois dénoncés par des agents victimes ou témoins, ce qui peut contrevenir au devoir de réserve auquel est tenu tout agent public. Comment concilier ces deux exigences ?

Dans plusieurs affaires récentes, la dénonciation des faits de harcèlement moral apparait comme une exception, ou du moins comme un aménagement, au devoir de réserve qui s’impose à l’agent public. L’agent public victime de harcèlement moral se montre ainsi davantage protégé dans l’exercice de ses fonctions. La caractérisation de faits de harcèlement moral est donc facilitée, ce qui entraine des enjeux importants en matière de responsabilité ou encore de protection fonctionnelle à l’égard de l’agent.

Harcèlement moral et devoir de réserve : de quoi parle-t-on ?

Tout agissement répété de harcèlement moral à l’égard d’un agent public, qui aurait pour effet de venir dégrader ses conditions de travail, en portant atteinte à ses droits, sa dignité, sa santé physique ou mentale ou même remettre en cause son avenir professionnel est sanctionné par la loi. Un agent qui invoquerait des faits constitutifs de harcèlement moral doit fournir des éléments probants permettant de démontrer la réalité de ces agissements. La loi précise également qu’aucune mesure de sanction ne saurait être prise à l’égard d’un agent qui a relaté ou témoigné d’agissements de harcèlement moral.

C’est au regard de ce principe que vient se confronter le devoir de réserve auquel est pourtant tenu l’agent public, en particulier lorsque cette dénonciation est publique. Le devoir de réserve renvoie en effet à une obligation de retenue et de mesure de l’agent dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles. Comment le concilier avec les exigences associées à une situation de harcèlement moral ?

L’aménagement nécessaire du devoir de réserve

Dans une affaire traitée par la Cour administrative d’appel de Marseille, le juge administratif précise l’exception au devoir de réserve de l’agent public, en cas de dénonciation publique de faits de harcèlement moral dont il est la victime ou le témoin, quand bien même la dénonciation publique de ces faits serait « de nature à jeter le discrédit sur l’administration ».
 
En l’espèce, le directeur général d’un centre hospitalier avait tenu des propos virulents dans la presse régionale, à l’égard du directeur général du même centre hospitalier, en dénonçant notamment un « système » abusif et une « omerta » qui auraient été mis en place par ce directeur général à l’égard de ses différents directeurs, instaurant ainsi une situation de harcèlement moral. Le juge administratif ne retient ici pas d’atteinte au devoir de réserve de l’agent, en précisant que les propos en question sont venus dénoncer directement des faits de harcèlement moral et qu’ils ne revêtaient pas de caractère injurieux ou diffamatoires. La sanction disciplinaire, qui avait été prise à son égard en raison d’une atteinte à son devoir de réserve, a donc été annulée.

L’obligation d’étudier les faits en matière de harcèlement moral

Une autre précision intéressante a récemment été apportée par le Conseil d’État : l’administration est tenue de concilier l’intérêt du service et l’intérêt de l’agent victime de harcèlement moral, ce qui l’oblige à analyser à la fois la réalité de l’atteinte au devoir de réserve et la réalité des faits de harcèlement moral.

Le Conseil d’État a confirmé cette position il y a quelques jours, dans une autre affaire. En l’espèce, un agent municipal avait envoyé un courriel à un large cercle d’élus de la commune afin de faire état des faits de harcèlement moral dont elle s’estimait victime. Le juge administratif souligne ici qu’en adoptant une sanction disciplinaire à l’encontre de son agent pour atteinte à son devoir de réserve, la commune n’a pas pris en compte les agissements de harcèlement moral invoqués par l’agent et a donc commis une illégalité.

Une sanction possible en cas de dénonciations mensongères 

Quoi qu’il en soit, l’administration ne peut donc pas sanctionner son agent pour une atteinte à son devoir de réserve, sans prendre en considération et étudier les faits qui lui sont soumis en matière de harcèlement moral. Dans un tel cas de figure, il serait envisageable de sanctionner l’agent, non pas en raison de la dénonciation des faits de harcèlement moral dont il aurait été victime ou témoin, même de manière publique, mais dans l’hypothèse où après vérification, ces dénonciations se révèleraient mensongères, par exemple. La limite de cette dénonciation tient donc à la commission d’infractions pénales telles que la profération d’insultes, d’injures ou de propos diffamatoires.


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Auteurs de l’article : Adrien Levrey, Avocat Cabinet TEN France

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